Altération aqueuse du verre nucléaire dans son environnement de stockage

Résumé

Exploitation, caractérisation et modélisation d’expériences dites « intégrales » d’altération de verres destinés au confinement de déchet nucléaires (SON68 et AVM4) en présence de fer, de matériau cimentaire et d’argilite du Callovo-Oxfordien dans deux configurations géométriques : l’une simulant une alvéole de stockage, l’autre mélangeant intimement les matériaux en présence. Ces essais ont été lancés pour le compte de l’Andra entre 2017 et 2018 et leur caractérisation a débuté ces deux dernières années.

Description

En France, la solution retenue pour la gestion des déchets radioactifs issus du retraitement des combustibles nucléaires usés est leur stockage futur en couche géologique profonde. Ces déchets de haute-activité sont vitrifiés, c’est-à-dire intégrés au sein même d’une matrice de verre coulée dans un conteneur en acier inoxydable, constituant le colis primaire. Celui-ci est inséré dans un colis de stockage en acier au carbone. Le tout sera stocké à 500 m de profondeur dans des galeries creusées dans une couche géologique argileuse appelée argilites du Callovo-Oxfordien (COx) et renforcées par un chemisage faiblement allié entouré d’un coulis cimentaire. Il convient alors d’étudier le comportement à long terme du verre dans cet environnement. En effet, l’eau (agent principal de l’altération) présente naturellement dans les sols, traversant la couche argileuse, finira par atteindre l’espace de stockage. Lorsque les différentes barrières ne seront plus étanches, après corrosion des enveloppes métalliques, l’eau altérera le verre. Son altération conduira alors à un relâchement progressif dans l’environnement des radionucléides qu’il renferme. Il convient de décrire et comprendre les mécanismes de cette altération pour garantir la sûreté de l’homme et de l’environnement sur une période de plusieurs centaines de milliers d’années.

Un travail important a été conduit ces dernières années pour mieux comprendre comment l’environnement (produits de corrosion des composants en aciers, formation argileuse, eau de site, matériau cimentaire…) peut :

  • modifier les cinétiques d’altération du verre en fonction de la composition, du pH, des conditions redox et de la force ionique de la solution,  [1-3],
  • induire ou inhiber la nucléation et la croissance de minéraux néoformés consommatreurs de silicium, élément fondamental de l’étude de la durabilité chimique des verres [4-6],
  • limiter le transport au sein de la pellicule d’altération développée à la surface du verre, des espèces contribuant à l’altération, et notamment celui des espèces hydrogénées (modification des conditions de diffusion) [8],
  • stabiliser (p. ex. comportement du Ca) ou déstabiliser (p. ex. comportement du Mg) la pellicule d’altération du verre en fonction de la présence des éléments provenant du verre ou de l’environnement, et ainsi modifier les propriétés passivantes de cette pellicule [5][6],
  • augmenter l’altération globale du verre en consommant les éléments structurant la pellicule d’altération passivante par sorption du silicium sur les sites de surface des produits de corrosion des composants métalliques (magnétite, sidérite), favorisant ainsi la précipitation de silicates de fer [9-11].

L’ensemble de ces mécanismes, fortement couplés, a nécessité le développement et la mise en œuvre de modèles à même de décrire la géochimie et le transport de tels milieux. La cinétique d’altération des verres est ainsi modélisée à partir de la connaissance des paramètres cinétiques et thermodynamiques de la couche d’altération [12,13], notamment à l’aide du modèle GRAAL implémenté dans un code géochimie-transport (HYTEC) [14].

Dans le cadre d’une thèse financée par l’Andra, menée au sein du CEA, d’octobre 2015 à octobre 2018, un large corpus expérimental a été lancé. Une série d’expériences « intégrales » d’altération de deux verres AVM et R7T7 a été initiée mettant simultanément en jeu un certain nombre des matériaux présents dans le stockage : fer, argilite, coulis cimentaire. Deux séries d’expériences ont ainsi été lancées, l’une en mélangeant l’ensemble des matériaux en présence de façon homogène pour s’affranchir de la dimension « transport » (essais intégraux homogènes), l’autre pour reproduire au mieux la géométrie d’une alvéole de stockage (essais intégraux en transport). En parallèle de ces essais, des expériences plus paramétriques ont aussi été lancées pour aider à l’interprétation des essais intégraux :

  • mesures des vitesses initiales d’altération,
  • altération des verres seuls dans la solution d’altération (pH et apports en Mg et Ca contrôlés),
  • altération des matériaux seuls (fer, argilite, coulis cimentaire),dans la solution d’altération
  • corrosion du fer et de la magnétite dans une solution régulièrement alimenté en  silicium.

Les résultats acquis au travers des analyses de solution et des caractérisations des matériaux doivent permettre d’améliorer notre compréhension des mécanismes intervenant et permettre la modélisation des systèmes intégraux en utilisant des paramètres découlant des essais paramétriques.

Les principaux axes de l’étude sont schématisés sur la figure ci-dessous.

Principaux axes de l’étude

Ces essais ont été poursuivis au-delà de la thèse (2015-2018) et ont été arrêtés dans le cadre d’un post-doctorat mené d’octobre 2020 à octobre 2022.

Les acquis de ce post-doctorat sont les suivants :

  • les analyses de solution permettent de mettre en évidence les conditions limitant ou augmentant l’altération du verre (par exemple : le coulis cimentaire utilisé  s’avère être un matériau dont la présence diminue l’altération du verre),
  • des caractérisations des matériaux présents et néoformés ont été menées sur les essais paramétriques et les essais homogènes (MEB, Raman, MET…) et ont été entamées sur les essais en transport,
  • des hypothèses sur les comportements de différents éléments chimiques et sur leurs effets vis-à-vis de l’altération du verre ont été émises,
  • pour valider ces hypothèses, un travail de modélisation a été entamé qui a permis :
    • de paramétrer les modèles de comportement de chacun des matériaux seuls (argilite, coulis cimentaire, fer),
    • d’encadrer le paramètrage du modèle de comportement du verre,
    • de commencer la modélisation des systèmes intégraux AVM homogènes.

Les études menées dans le cadre de ce premiers post-doctorat, riches d’enseignements, doivent être poursuivies et complétées. Ainsi, les caractérisations préliminaires sur les essais intégraux dits « en transport » montrent l’impact que peut avoir la géométrie du milieu sur les processus en œuvre. Il est clairement mis en évidence que le transport des espèces d’une interface solide à une autre intervient. Il est montré que certaines espèces tel que le fer ont un impact spatialement limité. Ayant une faible solubilité, le fer précipite localement sous forme d’oxydes de fer ou de silicates de fer. En revanche, certaines espèces plus solubles peuvent diffuser dans le système pour impacter le verre dans sa globalité. Au vu de ces résultats, ce travail doit donc être poursuivi, pour caractériser les systèmes de manière plus approfondie d’une part, et d’autre part pour les modéliser.

Pratiquement, le travail du post-doctorat proposé ici sera divisé en deux parties :

  • une partie « caractérisation » dans laquelle il conviendra de capitaliser et de confirmer les études précédentes et de caractériser les dispositifs intégraux en transport de façon suffisante pour permettre d’une part, la compréhension fine des mécanismes mis en jeu, et d’autre part la qualification nécessaire des pellicules d’altération du verre,  des produits néoformés pour permettre le paramétrage des modèles d’altération. Compte tenu du dispositif expérimental, et de l’altération simultanée des différents matériaux évoqués, la caractérisation sera basée sur une méthodologie multi-échelles, seule à même d’aborder la complexité des systèmes. En complément de techniques de laboratoire telles que les microscopies optique (MO) et électronique à balayage (MEB) couplées à la spectroscopie dispersive en énergie et la spectroscopie Raman qui permettent d’appréhender la morphologie, la composition et la structure cristalline des échantillons à des résolutions micrométriques, des techniques comme la microscopie électronique en transmission (MET) haute résolution ou le  STXM (Scanning Transmission X-ray Microscopy) seront utilisées pour la caractérisation à l’échelle nanométrique. Ces dernières techniques nécessiteront la préparation de lames minces par FIB (Focus Ion Beam). Ce travail sera réalisé en collaboration avec le NIMBE/LAPA (Laboratoire Archéomatériaux et Prévision de l’Altération – CEA/CNRS à Saclay) spécialisé dans la mise en œuvre de la caractérisation multi-échelle des systèmes verre/fer/argile.
  • une partie « modélisation transport-réactif » dans laquelle il faudra : se former au modèle GRAAL, capitaliser le travail effectué précédemment sur les essais paramétriques ; Reprendre et compléter la modélisation initiée sur les essais intégraux homogènes pour le verre AVM ; Effectuer le même travail pour les essais intégraux homogènes pour le verre de type R7T7 ; Et enfin, se pencher sur la modélisation des essais en transport (prise en compte du transport, paramétrisation et paramétrage). Il s’agira, par exemple, partant des bases de modélisation sur les essais paramétriques et utilisant les caractérisations des matériaux en présence, de modéliser les interfaces unes à unes, puis d’assembler ces modèles, pour, à terme modéliser le dispositif entier. Ce travail se fera en étroite collaboration avec les chercheurs du LEMC (Laboratoire d’Etude des Matériaux en environnement Complexe – CEA/DEN/ISEC/DPME/SEME à Marcoule).

Formation demandée

Doctorat en science des matériaux – altération – thermodynamique

Expérience demandée

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Conditions

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